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Le dilemme des utilisateurs face à l'annonce de l'évolution des conditions générales de l'application WhatsApp

Tech&droit - Données
20/01/2021
Le 15 mai prochain, les nouvelles conditions générales d'utilisation de WhatsApp entreront en vigueur. Décryptage avec Céline Moille, associée et Manon Saccard, avocat collaborateur chez Ravet Lyon. 
La notification a été envoyée par WhatsApp : « Les Conditions d’utilisation et la Politique de confidentialité de WhatsApp vont être mises à jour […] En appuyant sur Accepter, vous acceptez les nouvelles Conditions, qui entreront en vigueur le 8 février 2021. Après cette date, il vous faudra accepter les nouvelles Conditions pour continuer à utiliser WhatsApp […] ».
 
L’annonce n’est pas passée inaperçue dans le monde du digital et bien au-delà ! À partir du 8 février 2021, les conditions générales d'utilisation et la politique de confidentialité de WhatsApp devaient changer.

Les principales modifications ? La manière dont le service de messagerie traite les données et les modalités d’utilisation par les entreprises des services hébergés par Facebook, société mère du groupe.  

Alors que l’application de messagerie instantanée compte aujourd’hui près de deux milliards d'utilisateurs, ces derniers seraient, semble-t-il, contraints d’accepter les nouvelles Conditions d’utilisation sous peine de ne plus pouvoir utiliser ce service.

La polémique au cœur de cette annonce nous permet de mettre en lumière la distinction entre « information » et « désinformation » pour comprendre au mieux les conséquences réelles de ce changement auprès des utilisateurs.


Point d’étape sur la structure digitale d’appartenance de la société WhatsApp et les partages prévus entre les sociétés du groupe
La collecte de certaines données, telles que les noms, les images de profil, les numéros de téléphone des utilisateurs et de leurs contacts, le statut indiquant la dernière connexion, des utilisateurs par WhatsApp et leurs transmissions à la maison mère Facebook (et son écosystème d'applications de Facebook dont Instagram et Messenger) n’est pas une nouveauté.

En effet, deux ans après l’acquisition par la société mère du service de messagerie instantanée (en 2014), ce canal de transmission d’information était déjà en vigueur et apparent dans les conditions d’utilisation de 2016.

Quid alors de la différence des conditions d’utilisations 2021 ?
Jusqu’à présent, les utilisateurs de WhatsApp ne pouvaient pas refuser la collecte de leurs données personnelles, mais ils pouvaient s'opposer au partage de ces informations.

La politique de confidentialité offrait également la possibilité pour les utilisateurs de revenir sur leur décision et de modifier leur préférence sur les paramètres de l’application.

Les nouvelles dispositions des conditions générales imposées par WhatsApp, ont :
  • dans un premier temps, supprimé cette faculté de déterminer leur préférence et revenir sur ce choix ;
  • dans un second temps, imposé aux utilisateurs d’accepter que soient partagés avec les autres entités du groupe Facebook (dont Instagram et Messenger).
S’agissant des données collectées, le géant de la messagerie instantanée affirme et maintient l’utilisation d’un chiffrement de bout en bout, qui permettra d’exclure du partage susmentionné le contenu des messages échangés (photos, vidéos, textes).

On note toutefois que diverses informations seront potentiellement collectées et échangées comme les informations d’enregistrement du compte, le numéro de téléphone de chaque utilisateur, ses contacts, ses informations de profil et ses données des transactions éventuellement réalisées dans l’application.

Cela concernerait aussi les informations de service, celles sur comment l’utilisateur va interagir d’un service à l’autre, c’est-à-dire comment il va passer de Facebook, à Instagram jusqu’à WhatsApp.

L’adresse IP serait également partagée. 
 
Alors, quel est raisonnablement le but poursuivi par WhatsApp ?


L’objectif poursuivi par WhatsApp et les enjeux pour les utilisateurs
Les informations qui sont destinées à être partagées dans les entreprises du groupe ont, pour objectif d’aider le groupe à exploiter, fournir, améliorer, comprendre, personnaliser, soutenir et commercialiser ses services et ses offres.

Il s’agit de transformer, ou tout du moins, adapter WhatsApp à la stratégie Business B to B.

En pratique, par l’élargissement des données partagées, les applications rattachées au « Groupe » pourront alors prendre connaissance notamment des noms des entreprises avec lesquelles les utilisateurs interagissent.

L’objectif final étant d’améliorer leur publicité ciblée pour toucher « plus et mieux » les utilisateurs. La motivation étant donc pour le groupe de faire de la messagerie instantanée un canal d’achat grâce auquel il sera possible de monétiser ses propres services.

Mais qu’en est-il pour les consommateurs, utilisateurs non professionnels ?
Face à l’annonce de l’extension de la collecte des données par WhatsApp nombreux sont les utilisateurs qui ont manifesté leurs inquiétudes pour la protection de leurs données personnelles.
Mélange de panique et de colère, les internautes tournent leurs vestes au profit d’autres services de messageries.

Et pour cause ! La société WhatsApp qui a bâti sa réputation sur la protection des données est victime de l’échec de sa campagne d’information.

Dans les faits, c’est une augmentation du téléchargement de la messagerie sécurisée SIGNAL qui a traduit ce climat d’inquiétude.

Alors que la polémique sur WhatsApp bat son plein, la messagerie Signal a, elle, le vent en poupe ces derniers jours…

C’est dans ce contexte que l’application WhatsApp s’est vue contrainte d’annoncer le vendredi 15 janvier 2021, quelques jours après son annonce initiale, de finalement repousser de trois mois le changement de ses conditions générales d’utilisation.

Les évolutions qui devaient initialement entrer en vigueur le 08 février 2021 seront donc applicables à compter du 15 mai 2021.

Dans ce délai, nulle intention de revenir en arrière, mais la messagerie WhatsApp devra nécessairement réaliser une information claire quant à la mise à jour envisagée et éviter toutes confusions sur la désinformation et la polémique dont les utilisateurs s’estiment victimes aujourd’hui.
 
Une simple notification ne suffit donc pas pour imposer pareil changement.
WhatsApp a voulu aller vite, un peu trop !
 

En pratique, quid de la sécurité « légale » au profit des utilisateurs européens grâce à l’application du RGPD
En réalité, la tendance d’inquiétude serait, semble-t-il, synonyme d’incompréhension ou de manque d’information.
En effet, en Europe, les consommateurs sont protégés par le Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui contraint les opérateurs à se soumettre à certaines règles afin de protéger les utilisateurs résidents sur le territoire de l’Union.  

C’est en ce sens qu’il n’interdit pas le partage des données personnelles, mais le soumet à certaines conditions, parmi lesquelles figurent l’information des utilisateurs et leur libre consentement.

En termes de conformité, ce qui interroge finalement ce n’est donc pas tellement le partage des données personnelles entre filiales et la mère « Facebook » mais c’est le mécanisme appliqué à ce partage.

Ce qui semble être un obstacle à l’aune du RGPD c’est que WhatsApp objecte de contraindre un utilisateur à ne plus utiliser WhatsApp s’il « refuse la nouvelle politique ».

D’ailleurs, le Comité européen de la protection des données affirme : « Si le consentement est présenté comme une partie non négociable des conditions générales, l’on considère qu’il n’a pas été donné librement ». 
En pratique donc, un utilisateur de WhatsApp devrait donc pouvoir refuser ou retirer son accord « sans subir de préjudice ».

Or ici, le préjudice est direct puisque sans acceptation des nouvelles conditions générales, les utilisateurs seront purement et simplement exclus du service de messagerie électronique.
 
Un débat va ainsi très rapidement avoir lieu entre les régulateurs et Facebook. Le RGPD mentionne en effet « l’intérêt légitime » comme une des bases légales pour fonder le traitement de données personnelles.

Quid toutefois du degré de consentement supérieur, le consentement éclairé ?
Dans ce cas, une demande d’acceptation des conditions d’utilisation ne suffira pas.
 
Quant aux utilisateurs ne résidant pas sur le territoire de l’Union, ils seront contraints, peut être, pour continuer à utiliser l’application WhatsApp, d’accepter le transfert et l’utilisation des données collectées entre la messagerie instantanée et l’ensemble de son groupe d’appartenance.
 
Les régulateurs nationaux seront en première ligne pour jouer « au bras de fer » avec Facebook.
C’est donc, au-delà de l’accès, la réutilisation de ces informations qui inquiète le plus.

D’ici le 15 mai 2021… affaire à suivre de près…
 
 
CELINE MOILLE, Associée chez RAVET LYON - Yellaw Avocats et MANON SACCARD, Avocat Collaborateur chez RAVET LYON - Yellaw Avocats
 
 
Source : Actualités du droit