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La semaine du droit pénal général

Pénal - Droit pénal général
14/06/2021
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin criminel de la Cour de cassation, en droit pénal général, la semaine du 7 juin 2021.
Système de traitement automatisé de données – modification ou suppression
« Des modifications ou suppressions de données contenues dans un système de traitement automatisé sont nécessairement frauduleuses, au sens de l’article 323-3 du Code pénal, lorsqu’elles ont été sciemment dissimulées à au moins un autre utilisateur d’un tel système, même s’il n’est pas titulaire de droits de modification.
Justifie sa décision la cour d’appel qui, pour dire le prévenu coupable d’atteinte à un système de traitement automatisé de données, retient qu’il a procédé à la suppression, en toute connaissance de cause, de la minute numérisée d’un jugement et des mentions informatiques relatives au dossier concerné, à l’insu d’un autre utilisateur dudit système.
 
M. S, greffier du tribunal de commerce d’Agen, a dénoncé au ministère public la disparition d’un jugement, tant dans l’historique informatique du greffe du tribunal de commerce que dans le minutier, qu’il a imputée à son associé, M. K.
Une enquête a été diligentée à l’issue de laquelle ce dernier a été cité devant le tribunal correctionnel notamment du chef de suppression de données résultant d’un accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données (STAD).
Le tribunal correctionnel, après avoir requalifié ces faits en suppression frauduleuse de données contenues dans un STAD, l’en a déclaré coupable.
Appel a été interjeté à titre principal par M. K et par le procureur de la République à titre incident.
 
L’article 323-3 du Code pénal réprime notamment le fait de modifier ou supprimer frauduleusement les données contenues dans un STAD.
La chambre criminelle de la Cour de cassation juge que le seul fait de modifier ou supprimer, en violation de la réglementation en vigueur, de telles données caractérise le délit précité, sans qu’il soit nécessaire que ces modifications ou suppressions émanent d’une personne n’ayant pas un droit d’accès au système, ni que leur auteur soit animé de la volonté de nuire (Crim., 8 décembre 1999, pourvoi n°98-84.752, Bull. crim. 1999, n°296).
Dans l’hypothèse où de telles opérations sont effectuées par le seul titulaire des droits d’accès et de modification des données, sans dissimulation à d’éventuels autres utilisateurs du système, l’infraction ne peut être constituée (Crim., 7 janvier 2020, pourvoi n°18-84.755, en cours de publication).
En revanche, des modifications ou suppressions de données sont nécessairement frauduleuses dès lors qu’elles ont été sciemment dissimulées à au moins un autre utilisateur d’un tel système, même s’il n’est pas titulaire de droits de modification.
Pour retenir la culpabilité de M. K du chef précité, l’arrêt attaqué énonce que la suppression, en toute connaissance de cause, de la minute numérisée du jugement et des mentions informatiques relatives au dossier concerné, a été faite à l’insu de M. S, autre utilisateur du système.
En l’état de ces seules énonciations, la cour d’appel a justifié sa décision.
Dès lors, le moyen, dont la seconde branche critique un motif surabondant de l’arrêt, doit être écarté ».
Cass. crim., 8 juin 2021, n° 20-85.853, F-P *
 

Peine – motivation
« Aux termes d’un acte reçu le 5 octobre 2001, la SCI D a acquis, par voie d’apport, un bien immobilier situé à [localité 1]. Mme T. V, épouse de M. P, et ce dernier, détiennent, via la SCI Petru Pan, la totalité du capital de la SCI D.
Les époux P ont occupé les lieux sans difficulté jusqu’en juin 2005. A partir de juin 2006, Mme V s’est vue dans l’impossibilité d’entrer sur le domaine, le badge dont elle disposait ne fonctionnant plus, et les serrures de sa maison ayant été changées. Elle a déposé plainte contre M.  I. S.
Une information a été ouverte du chef d’extorsion et vol le 11 juillet 2008 avec mise en examen, à la même date, de M. S et placement sous contrôle judiciaire.
Par un arrêt du 11 mars 2009, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bastia a prononcé la nullité de la mise en examen du chef d’extorsion de biens et du chef de vol et décidé que par l’effet de cette annulation M. S devait être considéré comme témoin assisté.
Le 3 mai 2011, le juge d’instruction du tribunal de grande instance d’Ajaccio a rendu une ordonnance de non-lieu.
Suite aux appels formés par le ministère public, Mme V et la SCI D, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bastia a confirmé l’ordonnance de non-lieu par arrêt du 23 novembre 2011.
Mme V et la SCI D se sont pourvues contre cette décision. Par arrêt du 11 juin 2013, la chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé en toutes ses dispositions cet arrêt et a renvoyé la cause et les parties devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris qui a statué par l’arrêt susvisé.
A l’issue de l’information, M. S a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de violation de domicile, dégradation du bien d’autrui et vols, qui l’en a déclaré coupable, l’a condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis, 20 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils.
M. S, le ministère public, Mme V et la SCI D ont relevé appel de cette décision.
 
Pour prononcer la mise en examen de M. S, le juge d’instruction au tribunal de Paris s’est fondé, non seulement sur le contenu de la procédure à la date du 11 mars 2009, jour de l’annulation par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bastia de la mise en examen mais aussi sur d’autres éléments, connus par la suite, en particulier une audition de l’intéressé, le 7 janvier 2010, et le contenu de deux décisions civiles prononcées par la cour d’appel de Bastia, le 28 janvier 2009, et par la Cour de cassation, le 18 mai 2010, intervenues dans des instances dans lesquelles le demandeur est partie, pour estimer qu’il existait à son encontre des indices graves ou concordants d’avoir commis des infractions, objet de l’information.
Pour écarter l’exception de nullité de la procédure, présentée par M. S, qui se prévalait de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt précité du 11 mars 2009, la chambre de l’instruction indique que l’existence d’indices graves ou concordants à son encontre doit être appréciée à la lumière de l’ensemble des éléments du dossier de l’information, en particulier de ceux qui ont été rassemblés après l’arrêt ayant annulé sa mise en examen, et qu’en l’espèce, ces éléments établissent l’existence de tels indices.
En l’état de ces motifs, la chambre de l’instruction, à qui il revenait d’apprécier si la mise en examen du demandeur était justifiée au regard de l’ensemble des éléments recueillis au cours de l’information jusqu’à cette nouvelle notification de la mise en examen, a justifié sa décision.
Le moyen ne peut, dès lors, être admis.
 
Vu les articles 132-1, 132-20, alinéa 2, et 131-21 du Code pénal :
Selon le premier de ces textes, en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle.
Selon le second de ces textes, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu.
Hormis le cas où la confiscation, qu’elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le produit ou l’objet de l’infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé lorsqu’une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d’office lorsqu’il s’agit d’une confiscation de tout ou partie du patrimoine.
Il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien, après s’être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l’origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s’expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété du prévenu.
Pour condamner M. S à douze mois d’emprisonnement avec sursis, 40 000 euros d’amende et ordonner la confiscation des scellés, l’arrêt, après avoir rappelé que M. S exerce la profession de gérant du domaine de [...] et perçoit des revenus mensuels de 50 000 à 60 000 euros, énonce que la gravité des faits réside tout d’abord en l’espèce dans la durée de la prévention qui s’étale sur deux ans et dans la persistance de M. S à porter atteinte au droit de propriété de la partie civile de manière délibérée et planifiée en ayant changé les serrures et le badge d’accès au domaine, pour ensuite déplacer les meubles de Mme V afin d’opérer les travaux importants d’aménagement de la maison, dans un but lucratif, sans se soucier de la volonté de la légitime propriétaire. Les juges ajoutent que M. S ne démontre pas non plus avoir obtenu l’accord de M. I. D pour ces agissements, alors même qu’il soutient qu’il le prenait pour le véritable propriétaire, ce qui dénote une mauvaise foi évidente.
Ils précisent que M. S a une situation sociale et professionnelle stable et n’avait jamais été condamné au moment des faits visés en prévention.
Ils ajoutent, pour confirmer la peine de confiscation des scellés, que la restitution de ces derniers n’a été réclamée par aucune partie.
En prononçant ainsi sans s’expliquer, d’une part, sur la situation personnelle du prévenu et sur ses charges et, d’autre part, sur la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété par la mesure de confiscation et sans préciser la nature et l’origine des biens confisqués ainsi que le fondement de la mesure, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.
La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
La cassation sera limitée aux peines prononcées à l’égard de M. S dès lors que la déclaration de culpabilité et la décision sur les intérêts civils n’encourent pas la censure.
L’affaire sera renvoyée devant une cour d’appel pour qu’il soit à nouveau statué dans les limites de la cassation ainsi prononcée, conformément à la loi, et, le cas échéant, aux dispositions de l’article 485-1 du Code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars applicables à partir du 24 mars 2020 ».
Cass. crim., 9 juin 2021, n° 19-86.972 et n° 14-82.945, F-P *
 
 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 14 juillet 2021.
Source : Actualités du droit