<< Retour aux articles
Image  Arnaud Touati et Gary Cohen

Personnalité ou statut juridique pour les robots : la voie de l’Estonie

Tech&droit - Intelligence artificielle
01/11/2017
La problématique de la nature juridique des robots n’en finit pas de voir s’opposer partisans et opposants d’un régime spécifique, parfois par institutions interposées. Et si une troisième voie pouvait être trouvée, au moins pour certains robots ? Étudions l’exemple de l’Estonie, avec Arnaud Touati, avocat associé, co-fondateur du cabinet Alto Avocats et Gary Cohen, collaborateur.
L’avènement d’une intelligence artificielle forte et performante a soulevé un véritable enthousiasme tant ses développements sont susceptibles de changer nos modes de vie. La société américaine Tesla en est un bon exemple avec le lancement de sa voiture autonome qui conduit à la place du "conducteur" qui devient, ainsi, un simple passager.
Mais comment, alors, régler les difficultés, certaines dans leur réalisation, liées à la responsabilité de l’intelligence artificielle, et plus précisément du "robot", représentation matérielle de cet agrégat d’algorithmes ?

Pour un encadrement du développement des robots
Qui doit payer ? Qui peut être tenu responsable du comportement d’un robot ? Une multitude de responsables est envisageable : le propriétaire du robot, le concepteur de l’intelligence artificielle, le vendeur, le constructeur du robot, son utilisateur (v. notamment, Touati A., Il n'existe pas de régime adapté pour gérer les dommages causés par des robots, Actualité du droit, 5 janv. 2017)…

En l’état du droit positif, aucune disposition ne permet vraiment d’apporter une réponse certaine à ces interrogations, d’autant plus que les mécanismes de responsabilité (délictuelle, contractuelle ou pénale) sont expressément prévus pour l’être humain.

En outre, il ne serait pas opportun de limiter notre pensée aux considérations quotidiennes de l’intelligence artificielle. N’oublions pas que des robots pourront (ou peut-être le sont-ils déjà) être utilisés dans le cadre de conflits armés et, par la force des choses, occasionner des pertes civiles.

De nombreuses voix s’élèvent donc depuis plusieurs années pour encadrer le développement de ces robots et palier l’insécurité juridique tirée des accidents qu’ils causent (encore que l’utilisation de ce terme viendrait à leur imputer une responsabilité, ce qui n’est justement pas envisageable pour l’instant).

La proposition de l’Estonie
Ces appels à l’évolution du droit aux sociétés contemporaine ont été entendus, mais à la surprise générale, ce ne sont pas les États-Unis, pionniers en matière d’intelligence artificielle, qui ont enclenché ce mouvement, mais l’Estonie. Le législateur estonien souhaite effectivement donner aux robots et à l’intelligence artificielle un statut légal, à mi-chemin entre celui de l’homme et celui de l’objet.

Une nouvelle personnalité juridique pourrait ainsi être créée, à côté de celle classiquement donnée à l’être humain et aux sociétés. C’est dire la place importante qui est consacrée à la robotique avancée, qui aurait très bien pu être rangée dans la catégorie "objet".

Cette nouvelle n’est, en réalité, pas la toute première proposition quant à la réglementation des robots. Le Parlement européen planche déjà sur la création de normes techniques et éthiques visant à encadrer robots et intelligence artificielle (v. Actualités du droit, 16 févr. 2017, entretien avec Mady Delvaux, députée européenne : « Le robot doit être au service de l’homme » ; v. cependant la position divergente du Conseil économique et social européen : Actualités du droit, 16 juin 2017, entretien avec Muller C., « Le CESE n’est pas favorable à la création d’une personnalité électronique pour les robots »). Cependant, cette initiative reste éloignée de celle estonienne, dans la mesure où un statut, au sens juridique du terme, n’est pas à l’ordre du jour.

De la nécessaire distinction entre les types de robot
La première préoccupation, partagée mondialement est certainement d’interdire, le plus rapidement possible, les "robots tueurs". Mais il ne faut pas regarder les robots sous le seul prisme violent, qui ne représente d’ailleurs qu’une partie infime des progrès de l’intelligence artificielle.

L’Estonie veut ainsi créer un "robot-agent", mi personnalité juridique, mi objet. À titre d’exemple, l’intelligence artificielle pourra être dotée d’un droit de représentation de son propriétaire : elle sera juridiquement capable de conclure des contrats en son nom et pour son compte.

Reste à voir comment l’Estonie mènera ce projet et comment les autres pays réagiront, sachant que le législateur a déjà prévenu : cela prendra des années. 
Source : Actualités du droit