<< Retour aux articles
Image

Loyauté de la preuve pénale : l'Assemblée plénière à la lisière du « laisser faire »

Pénal - Procédure pénale
10/11/2017
 Dans l’affaire dite du « Roi du Maroc », l’Assemblée plénière de la Cour de cassation apporte une nouvelle pierre à l’édifice de la théorie de la loyauté de la preuve en matière pénale, en s’attachant aux limites de l’instrumentalisation, par les autorités publiques, de l’inopposabilité du principe de loyauté aux parties privées.
Les faits à l’origine de l’affaire étaient les suivants : à la suite de la parution d’un livre sur le fonctionnement d’une royauté étrangère, les deux journalistes auraient contacté le secrétariat particulier du monarque. Lors d’un entretien, il aurait été question de la publication d’un second ouvrage, préjudiciable, auquel il aurait été possible de renoncer moyennant finances. Les faits étaient dénoncés par plainte au parquet de Paris, qui décidait de l’ouverture d’une enquête préliminaire. La conversation ayant fait l’objet d’un premier enregistrement, son contenu était retranscrit par les enquêteurs. À la suite de l’ouverture d’une information judiciaire, le plaignant déclarait avoir également pris l’initiative d’enregistrer un second rendez-vous et informait les autorités de la tenue d’un troisième entretien. Sur commission rogatoire, les enquêteurs procédaient à une surveillance du lieu de cette rencontre, à l’issue de laquelle les deux journalistes étaient interpellés. Le plaignant remettait ensuite aux enquêteurs l’enregistrement des derniers échanges.

Mis en examen pour chantage et extorsion de fond, les deux journalistes déposaient une requête en nullité d’une grande partie des pièces de la procédure. Sur renvoi après cassation de l’arrêt de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris (Cass. crim., 20 sept. 2016, n° 16-80.820, Bull. crim., n° 244 ; Dorange A., Royauté, chantage, extorsion et... loyauté de la preuve, Actualités du droit, 20 sept. 2016), la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Reims rejetait elle aussi les requêtes en nullité, en raison de la participation indirecte des autorités policières à l’obtention des enregistrements. Un second pourvoi en cassation était formé dans la même affaire, provoquant la saisine de l’Assemblée plénière. La question posée était celle de savoir si le fait, pour les enquêteurs, prévenus par la victime, de mettre en place une surveillance des lieux de rencontres et d’enregistrer les conversations s’y étant tenues, constituait ou non une participation indirecte au recueil des preuves produites et d’en tirer les conséquences sur la validité des procès-verbaux de retranscription desdits enregistrements.


Le rapport du Conseiller rapporteur et l’avis de l’Avocat général offrant au lecteur, à l’occasion de cette décision attendue, une analyse aussi riche qu’exhaustive des principes établis et analyses construites au sujet du principe de loyauté dans l’administration de la preuve pénale, nous ne rappellerons que quelques règles permettant de saisir, selon nous, la portée de la décision.

Indépendamment de toute consécration normative explicite, la loyauté dans l’admiration de la preuve peut être regardée comme un principe directeur du procès, qui trouve son fondement dans le concept même de droit à un procès équitable. Il en résulte que le principe de la libre administration de la preuve en matière pénale, posé à l’article 427 du Code de procédure pénale, comporte des limites, conformément, finalement, à l’adage fraus omnia corrumpit. Depuis longtemps, la Cour de cassation estime que preuve obtenue par une manœuvre, une ruse ou un stratagème vicie la recherche et l’établissement de la vérité et, dans ce cadre, l’attitude concrète de l’agent public est examinée par le juge. Mais il est également de jurisprudence bien établie que le principe de la loyauté de la preuve n’est pas opposable aux parties privées du procès pénal, puisqu’« aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter des moyens de preuve produits par les parties, au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale et qu’il leur appartient seulement, en application de l’article 427 du Code de procédure pénale, d’en apprécier la valeur probante, après les avoir soumis à la discussion contradictoire ».

Une problématique spécifique se pose au regard d’une possible instrumentalisation, par les autorités publiques, de l’inopposabilité du principe de loyauté aux parties privées, en recourant aux éléments de preuve, éventuellement obtenus par fraude, fournis par la victime de l’infraction. La jurisprudence admet que les moyens de preuve remis par un particulier aux services d’enquête ne peuvent être écartés des débats en raison de la déloyauté ou de l’illégalité de leur obtention. Une partie de la doctrine considère que la jurisprudence devrait s’opposer à tout type de contournement du formalisme procédural, qui consisterait à faire réaliser par la victime de l’infraction elle-même ou un tiers, des actes d’investigation auxquels les autorités policières ne peuvent avoir recours, en s’affranchissant ainsi, en partie, du respect de règles d’encadrement de l’acte policier judiciaire.

Mais la jurisprudence semble ne limiter l’irrecevabilité de la preuve qu’aux hypothèses où celle-ci a été obtenue par provocation à l’infraction, qui détermine une personne à commettre une infraction et non par provocation à la preuve, pour simplement constater la réalisation des faits de nature infractionnelle. Partant, la jurisprudence ne verrouille pas toute possibilité d’instrumentalisation de l’inopposabilité du principe de loyauté. Mais si le plaignant peut servir d’intermédiaire, une ligne, ténue, de démarcation doit toutefois être posée entre d’un côté, la faculté pour les parties privées de se pré-constituer une preuve et, de l’autre, l’instrumentalisation constitutive d’un contournement de procédure qui devrait être sanctionné par l’irrecevabilité des éléments à finalité probatoire obtenus et la nullité des actes la constatant. C’est précisément dans le processus de construction de ce filament que se place la présente décision de l’Assemblée plénière.

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les journalistes et valide la démonstration réalisée par les magistrats rémois de l’absence de collusion entre les enquêteurs et le plaignant, tendant à faire prendre en charge les enregistrements litigieux par ce dernier. Un premier postulat, assez peu discutable, consistait à dire « qu’il apparaît légitime, de la part d’une victime ayant déposé plainte pour chantage et extorsion de fonds, d’informer les enquêteurs de l’avancement des démarches de ceux auxquels elle prête des agissements répréhensibles ». Et, dans ce cadre, « les services de police et les magistrats, saisis d’une telle plainte, se devaient d’intervenir pour organiser les surveillances de nature à confirmer ou infirmer les dires du plaignant et, si nécessaire, interpeller les auteurs ». Or, « on ne saurait déduire de l’existence d’une présence policière aux abords de l’hôtel où ont eu lieu les rencontres, un accord préalable et concerté des enquêteurs avec [le plaignant] sur les enregistrements clandestins effectués ».
Ceci, d’autant que lors de ces surveillances, les policiers se trouvaient à l’extérieur de l’établissement et n’étaient pas à même de constater les manœuvres du plaignant tendant aux enregistrements clandestins avec son téléphone portable. Si, certes, le plaignant a adressé ses enregistrements aux policiers dans un délai très bref après chaque rencontre, « ce simple constat est dépourvu de toute portée quant au rôle actif susceptible d’être prêté aux enquêteurs par les mis en examen et qu’il en va de même de la transcription par les policiers des deux enregistrements, puisque cette tâche a été accomplie après les deux rendez-vous litigieux et ne saurait être retenue à faute ».

Outre l’absence de preuve de l’existence d’une collusion, la chambre de l’instruction de Reims relevait que « si les policiers pouvaient raisonnablement se douter de l’enregistrement de la troisième rencontre par [le plaignant] compte tenu de la connaissance qu’ils avaient de son enregistrement clandestin du deuxième rendez-vous, rien ne permet d’affirmer qu’ils avaient connaissance de cette intention dès la deuxième rencontre ». En effet, « le concept de “participation”, même indirecte, suppose l’accomplissement, par les enquêteurs d’un acte positif, si modeste soit-il » et « le seul reproche d’un “laisser faire” des policiers, dont le rôle n’a été que passif, ne peut suffire à caractériser un acte constitutif d’une véritable implication ». Selon le principe bien connu des pénalistes, qu’il convient désormais aussi et sans aucun doute d’appliquer en procédure, l’abstention n’équivaut pas à l’action, il n’y a donc pas de commission par omission et pas d’instrumentalisation par simple exploitation.

Mais l’Assemblée plénière ne se retranche pas ici derrière l’appréciation souveraine des juges du fond. Et c’est ici un second apport de la décision. La Cour de cassation énonce en effet « que la chambre de l’instruction a pu en déduire l’absence de participation directe ou indirecte de l’autorité publique à l’obtention des enregistrements litigieux, ce dont il résultait que le principe de la loyauté de la preuve n’avait pas été méconnu ». Ce faisant, la Cour de cassation adopte une démarche, proche de celle adoptée par le juge européen. Mais là où la Cour européenne recherche si la procédure envisagée dans son ensemble a revêtu un caractère équitable, s’assure qu’il n’y a pas eu méconnaissance des droits de la défense et que le moyen de preuve litigieux n’a pas été le seul élément retenu pour motiver la condamnation, la Cour de cassation procède à une vérification plus concrète et circonstanciée de la motivation retenue, « s’apparentant », comme le souligne la note explicative de l’arrêt, « dans une certaine mesure, à celui de l’erreur manifeste d’appréciation ».

Un signe annonciateur de la future réforme de la Cour de cassation ? (comp. Cadiet  L., Chainais C., Lignes directrices pour une modernisation des missions de la Cour de cassation, déc. 2006, annexe 8, Rapp. de la Commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation, avr. 2017).
Source : Actualités du droit