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Loi relative à la lutte contre la fraude : un premier bilan

Pénal - Informations professionnelles
Affaires - Pénal des affaires
25/09/2020
Le 16 septembre 2020, un rapport parlementaire sur l’application de la loi relative à la lutte contre la fraude promulguée en 2018 a été déposé. 85 % des textes d’application ont été publiés. 
La commission des finances de l’Assemblée nationale a présenté un rapport sur l’application de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale promulguée en 2018. Celui-ci fait état des textes réglementaires publiés et des circulaires édictées pour sa mise en œuvre, « il ne s’agit donc pas d’un rapport d’évaluation de la loi : cela est bien trop prématuré puisque la loi n’a pas encore pu produire ses pleins effets ».
 
Pour rappel, la loi du 23 octobre 2018 (L. 2018-898, 23 oct. 2018, JO 24 oct., v. Focus sur les principales mesures contenues dans la loi relative à la lutte contre la fraude, Actualités du droit, 30 oct. 2018) relative à la lutte contre la fraude comporte 38 articles et se décompose en trois volets :
- le premier qui renforce les moyens (renforcement de la police fiscale, échange d’informations entre administrations, aménagement de la procédure de flagrance fiscale, etc.) ;
- le deuxième qui renforce les sanctions (publicité des décisions de condamnation, aménagement du système d’indemnisation, aggravation des peines d’amende, extension de la CRPC, CJIP en matière de fraude fiscale, etc.) ;
- le troisième qui réforme les procédures de poursuite de la fraude fiscale (suppression du « verrou de Bercy », enrichissement du document de politique transversale, etc.).
 
Parmi toutes ces mesures, 13 dispositions nécessitaient des mesures d’application. « Toutes ces mesures ont été prises à l’exception de deux » souligne le rapport d’information, à savoir les procédures d’autorisation d’accès aux données de connexion par l’administration des douanes et celles de l’administration fiscale.  À noter néanmoins que « D’après les informations transmises aux rapporteurs, une modification de ces articles sera proposée dans le prochain PLF ».
 
Donc finalement c’est 85 % des mesures d’application qui ont été publiées. Celles prévues mais également « plusieurs mesures d’application non prévues par le texte mais nécessaires au respect de l’esprit de la loi ».
 
Les rapporteurs notent donc que les outils créés :
- sont « pertinents et commencent à produire leurs effets », notamment celui du doublement du nombre de dossiers transmis par l’administration fiscale à l’autorité judiciaire entre 2018 et 2019 ;
- s’articulent avec la montée en puissance du PNF qui a permis, depuis sa création, de rapporter 7,7 milliards d’euros à l’État.
 
Cependant, le rapport fait état de « carences réelles qui existent en matière de lutte contre la délinquance financière du fait de l’insuffisance chronique des moyens alloués au contrôle fiscal au sein de l’administration fiscale ».
 
Les rapporteurs se concentrent particulièrement sur deux mesures majeures :
- la nouvelle police fiscale ;
- et la suppression du verrou de Bercy.
 

Une nouvelle police fiscale
La loi a permis d’affecter des agents des services fiscaux, les officiers fiscaux judiciaires, au sein d’autres ministères que celui de l’intérieur, à l’instar du ministère chargé du budget. Le service d’enquêtes judiciaires des finances a été créé (D. n° 2019-460, 16 mai 2020). « La mise en place de ce nouveau service a été très rapide grâce à l’anticipation de sa création très en amont du décret du 16 mai 2019 précité et à la mobilisation des moyens de la direction générale des douanes » notent les rapporteurs.
 
Le rapport précise que service d’enquêtes judiciaires des finances est composé de deux pôles :
-  un pôle qui permet aux officiers de douane judiciaire de mener des enquêtes judiciaires sur les grands trafics en disposant des pouvoirs d’investigation définis par le Code de procédure pénale ;
- un pôle d’investigations fiscales qui regroupe les officiers fiscaux judiciaires.
 
Les officiers fiscaux judiciaires ont pour mission de rechercher et constater, sur l’ensemble du territoire, du délit de fraude fiscale « complexe ». Notons que « Ces agents sont spécialement habilités à exercer des missions de police judiciaire et disposent de l’ensemble des prérogatives mises à leur disposition par le Code de procédure pénale ».
 
Le rapport affirme qu’au 31 août 2020, 47 dossiers sont en cours d’examen dont 12 traités conjointement avec un officier de douane judiciaire. « Plus de la moitié des dossiers confiés aux OFJ portent sur une plainte préalable de l’administration fiscale pour présomption de fraude fiscale et un tiers sur des saisines diverses en blanchiment de présomption de fraude fiscale, sans plainte préalable de l’administration fiscale ».
 
Il n’empêche que le rapport précise que le service « n’est qu’un maillon de la chaîne dans la lutte contre la fraude fiscale » et que des réformes structurelles sont nécessaires dans tous les services concernés par la lutte contre la fraude fiscale, ceux chargés du contrôle fiscal mais également les juridictions chargées de la répression de la fraude et les services d’enquête.
 
Les rapporteurs, reprenant un référé de la Cour des comptes du 12 décembre 2018, proposent :
- d’infléchir notamment la politique de ressources humaines des ministères de la justice et de l’intérieur « pour mieux répondre aux besoins en compétences spécialisées en structurant de véritables filières économiques et financières au sein de la magistrature comme des forces de sécurité » ;
- de « remobiliser l’intérêt des enquêteurs et magistrats pour lutter contre une délinquance qui préoccupe légitimement nos concitoyens » ;
- d’engager une réflexion sur l’élargissement du champ de compétence des officiers fiscaux judiciaires pour favoriser le désengorgement des parquets (notamment en élargissant leur compétence à la fraude fiscale aggravée).
 
 
Le verrou de Bercy supprimé
Initialement, le déclenchement d’éventuelles poursuites pénales pour fraude fiscale par le procureur de la République était subordonné au dépôt d’une plainte de l’administration fiscale et à un avis conforme de la commission des infractions fiscales (v. Verrou de Bercy  : ouverture partielle validée !, Actualités du droit, 1er oct. 2019). En mettant fin à ce verrou, « Cela a contribué à transformer profondément les méthodes de sélection des dossiers devant faire l’objet de poursuites pénales pour fraude fiscale ».
 
Dorénavant, le parquet peut être saisi d’un dossier soit par le mécanisme de dénonciation obligatoire pour les dossiers présentant une certaine gravité à l’issue d’un contrôle fiscal (965 dossiers ont fait l’objet d’une transmission obligatoire en 2019), soit par un dépôt de plainte préalable avec avis conforme de la CIF sauf s’il existe des présomptions caractérisées avec un risque de dépérissement des preuves.
 
Le rapport fait état de trois grands changements :
- le rôle du parquet a été transformé : passif, il est devenu un véritable acteur qui joue un rôle dans la sélection des dossiers et dans leur orientation puisqu’il dispose désormais de la possibilité de réaliser des CRPC et des CJIP ;
- le rapport de force dans les discussions entre les vérificateurs et les grandes entreprises contrôlées a été modifié : les conseils des entreprises font tout pour se mettre en conformité avec l’administration et aboutir à un règlement du dossier tout en renforçant le caractère dissuasif de la répression de la fraude fiscale ;
- l’administration fiscale et les procureurs dialoguent davantage, échangent plus d’informations.
 
Néanmoins, les rapporteurs notent « qu’un équilibre doit encore être trouvé pour que ces échanges soient pertinents », à savoir une modification du format et du contenu des notes accompagnant les transmissions pour éviter des demandes de compléments ou d’analyses trop nombreuses.
 
« Sous cette réserve, le suivi de l’application de cette loi démontre que le Parlement peut réussir des réformes importantes, à condition que celles-ci soient préparées par un important travail en amont » conclut le rapport.
 
Un rapport d’évaluation de la loi devra cependant être déposé au plus tard trois ans après la promulgation du texte. 
 
Source : Actualités du droit